Selon une étude du cabinet KPMG publiée en juin, la contrebande de tabac en France atteint des sommets inédits : en 2024, près d’une cigarette sur deux consommée sur le territoire est issue de circuits parallèles. L’Hexagone s’impose désormais comme le premier marché européen du tabac illégal, loin devant ses voisins.
Des chiffres alarmants
La France détient un triste record : celui de la consommation de cigarettes de contrebande. D’après une étude menée par KPMG pour le compte de Philip Morris International (PMI), 49,4 % des cigarettes fumées en 2024 – soit 24,7 milliards sur un total de 49,9 milliards – provenaient du marché noir. En quatre ans, la progression est vertigineuse : +60 %.
Avec 18,75 milliards de cigarettes illégales consommées, la France devance très largement l’Ukraine (6 milliards), le Royaume-Uni (5,9 milliards) ou encore la Grèce (2,5 milliards).
La hausse des prix, un facteur clé
Pour KPMG, la hausse continue du prix du tabac – +70 % en dix ans – est la principale cause de cette dérive. Pensées pour dissuader les fumeurs, ces augmentations semblent avoir produit l’effet inverse.
« Nos taxes tabac, parmi les plus élevées au monde, n’ont fait qu’encourager les consommateurs à se tourner vers des produits illégaux à bas prix », déplore Xavier Puech, président de Philip Morris France. Selon lui, il est urgent de réévaluer la stratégie actuelle, d’autant que Santé publique France observe une stagnation du nombre de fumeurs depuis quatre ans : la baisse du tabagisme quotidien étant compensée par une hausse des usages occasionnels.
Les frontières, zones de ravitaillement
Autre facteur aggravant : la proximité de pays où le tabac reste bien moins cher. Espagne, Luxembourg, Andorre… les prix y sont parfois divisés par deux. Loïc, un Montpelliérain rencontré à La Jonquera, en Catalogne, témoigne : « Ma cartouche m’a coûté 48 €, en France elle m’aurait été facturée 120 €. » Ces écarts entretiennent un trafic régulier qui fragilise encore davantage le réseau officiel des buralistes.
Un marché florissant pour les réseaux criminels
La contrebande dépasse largement le simple achat transfrontalier. Elle alimente des organisations criminelles qui engrangent des milliards. Selon le cabinet EY, le trafic de cigarettes contrefaites aurait rapporté plus de deux milliards d’euros aux trafiquants en 2023, avec près de 400 millions de paquets écoulés.
Les alternatives dans le viseur des trafiquants
Le marché noir ne se cantonne plus aux cigarettes traditionnelles. Depuis l’interdiction des « puffs » (e-cigarettes jetables) en février 2025 et face au projet de bannir les « pouches » (sachets de nicotine oraux), les contrebandiers élargissent déjà leur offre à ces nouveaux produits.
« Les interdictions créent des marchés clandestins et privent les fumeurs d’options potentiellement moins nocives, sans protéger les jeunes », estime Stéphanie Martel, directrice des affaires externes de Philip Morris France. Elle plaide pour une réglementation encadrée des alternatives au tabac plutôt qu’une interdiction totale.
Des pertes colossales pour les buralistes et l’Etat
Pour les 22 800 buralistes encore en activité, la situation est critique. En vingt ans, 10 000 points de vente ont disparu. La contrebande accélère leur déclin en détournant des millions de clients potentiels.
Pour l’État, l’impact est tout aussi massif : en 2023, le manque à gagner fiscal lié au marché noir est estimé à 9,5 milliards d’euros. Un trou budgétaire colossal, qui interroge sur l’efficacité de la politique anti-tabac française.
Une politique à la croisée des chemins
Face à ces chiffres, une question s’impose : la fiscalité punitive et les interdictions sont-elles encore des outils efficaces contre le tabagisme ? Les résultats sont contrastés : la consommation globale se stabilise, mais le marché noir prospère.
Longtemps citée en exemple pour sa politique de taxation, la France voit aujourd’hui son modèle mis à mal par une réalité économique et sociale plus complexe. Entre santé publique, recettes fiscales et lutte contre les réseaux criminels, les autorités devront bientôt arbitrer. Car pendant que le débat s’éternise, la contrebande, elle, continue de gagner du terrain.